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LA RESPONSABILITE DU PHARMACIEN DANS LE CADRE D’UN SUICIDE MEDICAMENTEUX
Jean VILANOVA – Juriste
jean.vilanova@ca-predica.fr
Depuis de nombreuses années, nous prétendons que le pharmacien est « le dernier rempart » avant l’accident médical. En effet si,
au moment de la délivrance de la prescription, il ne perçoit pas l’anomalie ou le dysfonctionnement survenu en amont de lui, le risque
est alors susceptible de se réaliser pour le patient. Cela nécessite de la part de ce praticien une analyse rigoureuse de la prescription
et un questionnement précis du patient. En juin 2009, la Cour d’appel de Paris a ainsi eu à se prononcer sur la responsabilité d’un
pharmacien après délivrance à une jeune femme dépressive, à partir d’une ordonnance falsifiée, de médicaments dont la prise
concomitante et massive a permis à celle-ci de mettre fin à ses jours.

1. Faits et décisions de justice (TGI puis cour d’appel)

Mlle X, patiente dépressive âgée de 23 ans suit, depuis avril 2002, un traitement antidépresseur à base de ZoloftR associé à un anxyolitique. Le
9 juillet 2003, elle se présente au comptoir d’une pharmacie parisienne munie d’une ordonnance délivrée par son médecin psychiatre en vue du
renouvellement du traitement. Mais elle a elle-même falsifié l’ordonnance en y ajoutant la mention « Chloroquine 3 fois par jour ». Les
médicaments lui sont délivrés sans difficulté par la préposée de l’officine en plus d’un flacon de RivotrilR prescrit par un médecin généraliste. La
jeune femme décède le 11 juillet après absorption de ces différents produits.
L’expertise conclut au décès par suicide des suites de la prise massive de Chloroquine associée au surdosage d’anxyolitique.
La mère de la défunte décide de poursuivre le pharmacien titulaire de l’officine ainsi que sa préposée (non pharmacienne) qui a délivré les
médicaments en regard de l’ordonnance falsifiée.
Le Tribunal de grande instance de Paris rend son jugement le 9 juillet 2007. Les magistrats ne reprochent ni au pharmacien ni à sa préposée le
fait de n’avoir pas décelé la falsification de l’ordonnance. Ils estiment en revanche que le pharmacien a bien failli à son devoir de contrôle des
éléments de la prescription. Mais aucune responsabilité n’est retenue. Selon le TGI en effet, si la faute s’avère patente, le lien de causalité
entre l’existence de celle-ci et la réalisation du préjudice n’apparaît pas. La jeune femme avait décidé de mettre fin à ses jours. Elle était
déterminée. Même en l’absence de faute, le risque, hélas, se serait probablement réalisé.
La mère de la défunte fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Paris.
Celle-ci, dans son arrêt rendu le 26 /09 /2009, infirme le jugement du tribunal de grande instance. Les juges du fond estiment à ce titre et de
façon souveraine que la faute du pharmacien a fait perdre une chance à la désespérée de la détourner de son projet de mort par une prise en
charge adaptée à son état de santé.
Hors intérêts, les magistrats fixent à 20 000 € la réparation du préjudice moral de la mère.
2. Commentaires et discussion

Cette tragique affaire et sa conclusion judiciaire appellent plusieurs commentaires, tous de haute importance. Il est d’abord question de la
responsabilité du commettant (le pharmacien titulaire) des suites de l’action de sa préposée. Il s’agit dans un second temps de rappeler plus
généralement le large périmètre d’action possible du pharmacien, au comptoir, au vu d’une prescription en soi porteuse de danger. Enfin,
l’affaire en question donne lieu à la conjonction de plusieurs éléments constitutifs d’une sorte de mécanique ne laissant aucune chance à la
jeune femme. D’où, pour les juges de la cour d’appel, la faute patente du pharmacien, seul à même d’enrayer cette mécanique, ce qu’il n’a pas
entrepris.
a. Le commettant et son préposé
L’employée de la pharmacie, vendeuse non habilitée à délivrer des médicaments a pourtant honoré l’ordonnance falsifiée, ce dont la mère de la défunte lui fait grief ainsi qu’au pharmacien qui n’a pas exercé son devoir de contrôle sur elle. La réponse du Droit reste sur ce point d’une parfaite clarté. La préposée est le bras, le titulaire la tête et la tête est responsable de l’action du bras. Un pharmacien titulaire, à l’instar de tout commettant répond d’une obligation de direction, de surveillance et de contrôle de ses préposés. La faute du préposé devient sa propre faute conformément aux dispositions prévues à l’article 1384-5 du Code civil. b. Les obligations du pharmacien au comptoir
Le contrôle de l’ordonnance constitue l’une des missions régaliennes dévolues au pharmacien officinal. Il y va de la sécurité de chaque patient qui se présente à lui. Ainsi que le dispose l’article R. 4235-48 du Code de la santé publique (ancien article 48 du Code de déontologie des pharmaciens). « Le pharmacien doit assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance… l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale si elle existe… » C’est reconnaître, comme le précisent fort justement deux professeurs de Droit Jérôme Peigné et Patrick Fallet que… « La dispensation… consiste à associer à l’acte matériel de délivrance un acte intellectuel (souligné par nous) d’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale. » (La Gazette du Palais ; 22 au 24 /11 /2009) Et, prolongement logique de cet acte intellectuel, à l’issue de ce contrôle… « « Lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l’ordonnance. » (art. R. 4235-61 Code de la santé publique) A ce stade, une question se pose : le pharmacien incriminé disposait-il des éléments de compréhension lui permettant d’appréhender le danger pesant sur la jeune femme ? Les magistrats répondent à cette question par l’affirmative. Ils considèrent en effet que le pharmacien a ignoré les nombreux signes annonciateurs du projet funeste de la patiente, signes que son expertise aurait dû lui permettre de déceler. L’argumentaire s’appuie sur une conjonction d’éléments. c. La conjonction des éléments de dangerosité
) Première observation, la chloroquine dont la patiente a porté mention de sa main sur l’ordonnance du psychiatre, se voit d’ordinaire prescrite
sous l’appellation de NivaquineR. Cette première observation, certes non décisive n’en aurait pas moins dû constituer matière à interrogation
chez un pharmacien vigilant.
) Seconde observation, l’association de la chloroquine, puissant hypotenseur à un médicament antidépresseur imposait un examen
approfondi de l’ordonnance d’autant que la mention portée sur l’ordonnance – 3 comprimés de chloroquine 100 mg par jour – était en rupture
avec la posologie habituelle, posologie évaluée à 1 comprimé de NivaquineR 100 mg par jour. Or tout soignant sait que le surdosage en la
matière ouvre voie à un risque mortel (hypotension pouvant conduire à un arrêt cardiaque).
) La troisième observation a trait à l’histoire même du suicide par chloroquine. Cette forme de suicide reste le moyen adopté par de nombreux
désespérés, ceci dit-on depuis la parution en 1982 du livre Suicide, mode d’emploi, vendu à cette époque à 100 000 exemplaires et qui avait
fait grand bruit. L’ouvrage décrit notamment la façon de mettre fin à ses jours par ce biais. Et de fait, Jérôme Peigné et Patrick Fallet rapportent
dans l’article cité ci-dessus que 75 % des patients parisiens ayant fait une tentative de suicide à la chloroquine avaient lu le livre (source Centre
antipoison de Paris
). Il reste néanmoins qu’en appeler aujourd’hui encore aux conséquences de l’ouvrage peut paraître vain. Il est en effet
introuvable depuis plusieurs années et l’internet permet de nos jours à quiconque ayant pour projet d’attenter à sa propre vie d’y trouver toute
l’information qu’il souhaite.
En conclusion

La Cour d’appel de Paris ne formule nul reproche au pharmacien pour n’avoir pas décelé la falsification de l’ordonnance fatale. Un
professionnel de santé n’a pas à démontrer des qualités de graphologue. Elle ne lui reproche pas davantage le suicide de Mlle X. Celle-ci
semblait résolue à mettre fin à ses jours et l’enquête a permis de démontrer qu’avant son passage à l’acte, elle avait consulté sur l’internet de
nombreux sites ayant trait au suicide.
Le reproche est autre : un manquement à une exécution raisonnée de la prescription dont toute analyse réfléchie aurait permis d’en remarquer
l’incohérence. Et le fait que le tableau dépressif présenté par cette patiente ne pouvait échapper au praticien constitue sans nul doute une
circonstance aggravante.

Source: http://www.lamedicale.fr/documents/201104Pharmacien2.pdf

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