LA THALIDOMIDE. LORSQUE L'HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L'AVENIR Ph. EUCHER 1
Mots-clefs : thalidomide, résurgence, risque zéro, éthique et responsabilité médicaleCorrespondance : Ph. Eucher, cliniques universitaires de Mont-Godinne, service de chirurgie
cardiovasculaire et thoracique, avenue Therasse 1, B-5530 Yvoir. RÉSUMÉ « There has never been a drug that has so profoundly affected drug development around the world ashas Thalidomide »Sol Barer, Chief executive officer of Thalidomide, manufacturer Celgene Corporation. JAMA 1997 : 8-10Le corps médical est actuellement confronté à la résurgence d’une anciennemolécule jadis bannie de l’arsenal thérapeutique en raison de ses dramatiques effetstératogènes : la thalidomide. Nous rappelons les faits principaux qui jalonnent sonhistoire, depuis sa commercialisation en 1957 jusqu’à sa récente approbation par laFDA. Les mesures de précaution indispensables lors de sa prescription sontdétaillées. Nous rappelons, exemples à l’appui, que la notion de risque zéro n’existepas en médecine quelles que soient les précautions prises. Nous insistons doncsur la responsabilité qui pèse sur chaque prescripteur de thalidomide en casd’effets secondaires délétères. INTRODUCTION
ponse à l’action d’agents extérieurs comme despoisons, des infections, les rayons X, la malnutri-
Les membres du comité d’éthique des cliniques
tion ou certains médicaments (1). Selon Ann Daily
de Mont-Godinne ont dû se pencher au cours des
cependant il n’y avait guère de prudence particu-
douze derniers mois sur plusieurs protocoles
lière en matière de prescriptions médicamenteu-
d’études expérimentales testant l’efficacité d’une
ses aux femmes enceintes parce que l’on assimi-
ancienne molécule, la thalidomide, responsable
lait le placenta à une bonne barrière de protection :
voici plus de quarante ans des malformations sé-
seules les drogues administrées à un dosage tel
vères présentées à la naissance par une dizaine de
qu’il aurait été toxique pour la mère pouvaient être
milliers d’enfants. A cette occasion, il nous a sem-
nuisibles au fœtus. L’expérimentation animale es-
blé opportun de rappeler l’histoire peu banale de
sayait de produire toutes sortes d’anomalies sans
cette drogue, depuis sa commercialisation dans les
vraiment savoir dans quelle mesure elles pou-
années 1950 jusqu’à sa réapparition récente. La
vaient s’appliquer à l’Homme. Par ailleurs, la
multiplication exponentielle des indications mé-
médecine se souvenait encore de cette période
dicales potentielles, qui font actuellement l’objet
sombre de ses connaissances où la sauvegarde de
d’études, ravive en effet le débat éthique lié à son
l’accouchée passait largement avant celle de son
nouveau-né. A l’exception de tératologistes pu-bliant leurs recherches de laboratoire dans des re-vues spécialisées à audience limitée, il semble que
LE MYTHE DE LA BARRIÈRE
la communauté médicale se préoccupait assez peu
PLACENTAIRE
de l’adéquation des expérimentations réalisées sur
Dans les années 1950, on n’ignorait pas que le
1 Service de Chirurgie Cardiovasculaire et Thoracique, Cliniques
fœtus pouvait développer des anomalies en ré-
Universitaires UCL de Mont-Godinne, 5530 Yvoir.
LA THALIDOMIDE LORSQUE L’HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L’AVENIR
des animaux. Dans ces conditions, l’industrie
Distaval®, stipulant à son tour dans la notice
pharmaceutique elle-même n’avait guère de rai-
qu’elle pouvait être prise sans risque par les fem-
sons d’y accorder plus d’importance, les expérien-
mes enceintes. In fine, la drogue sera vendue dans
ces servant autant à la protéger en cas de plainte
46 pays, par une bonne douzaine de compagnies
sous licence, en Europe mais aussi en Asie, enAustralie et en Afrique, sous une quarantaine denoms différents (dont le Softénon® en Belgique) ;
LE DRAME DE LA PHOCOMÉLIE
dans bon nombre de formulations, la thalidomidesera mélangée à de la quinine, à de la vitamine C,
IATROGÈNE
à de la phénacétine ou de l’aspirine, et même à
ÉMERGENCE D’UN HYPNOTIQUE
Initialement, le médicament pouvait être acheté
Bien que l’histoire connaisse quelques varian-
sans prescription, mais assez rapidement il s’avéra
tes dans la littérature, il ressort qu’en 1953, la firme
qu’il était responsable parfois de névrites périphé-
suisse CIBA, ayant synthétisé la thalidomide, ne
riques éventuellement sévères et irréversibles. La
lui trouva aucune utilité lors d’essais cliniques et
firme reçut plusieurs centaines de cas rapportés,
l’abandonna (3). En 1954, une petite société phar-
nia systématiquement tout rapport de cause à ef-
maceutique allemande dont les ambitions com-
fet, mais à la fin de l’été 1961, elle fut contrainte
merciales dépassaient la rigueur scientifique, la
d’accepter que la prescription médicale en devint
Chemie Grünenthal, reprit à son compte les recher-
obligatoire dans toute l’Allemagne. La drogue con-
ches sur cette molécule, la testant sans résultat
tinua cependant d’être considérée comme incroya-
comme antigrippal, antiépileptique, antihistami-
nique, antibiotique, … Le seul effet réellementconstant de la drogue semblait résider dans le pro-
Assez rapidement également, les centres alle-
fond sommeil paisible qu’expérimentaient les vo-
mands de néonatalogie constatèrent une augmen-
lontaires. Le produit paraissait par ailleurs in-
tation du nombre de nouveau-nés ayant des mal-
croyablement sûr, aucun effet secondaire n’ayant
formations rares et graves touchant surtout les
été observé sur les animaux de laboratoire; il était
membres (agénésie ou hypogénésie des bras et/
ou des jambes), mais également absence d’oreilleset surdité, paralysie faciale, lésions oculaires, ano-
Sachant qu’à l’époque les hypnotiques sont
malies cardiaques, digestives, urinaires et génita-
essentiellement représentés par les barbituriques
les. Faute de communication adéquate et d’en-
dont la sécurité est moindre, la firme Chemie
quête épidémiologique (rendues difficiles par l’ab-
Grunenthal décide de commercialiser la thalido-
sence de prescription obligatoire), chaque centre
mide à cet usage, sous l’appellation de Contergan®.
se croira victime de la fameuse loi des séries liées
Les nausées matinales du début de la grossesse
au hasard, d’autant plus que beaucoup de fem-
représentent une autre indication officielle du
mes enceintes avaient pris le médicament durant
médicament qui peut être consommé également
leur grossesse sans que cela n’entraîne de malfor-
par les femmes durant l’allaitement et pour cal-
mations. Aussi, et bien que le premier bébé atteint
par la thalidomide soit né le 25 décembre 1956(malformation des oreilles, le bébé était celui d’un
Suite à une vaste campagne publicitaire (50 re-
employé de la firme qui avait reçu des échantillons
vues médicales, 50.000 circulaires thérapeutiques,
…), il faudra attendre le 16 septembre 1961 pour
250 000 lettres aux médecins en Allemagne), le
que Wiedeman publie (dans le JAMA) 27 cas de
produit, commercialisé le 1er octobre 1957, devient
phocomélie et suggère qu’une des nouvelles dro-
rapidement un best-seller. En 1959, on estime à un
gues sur le marché en soit responsable. Dès lors,
million le nombre d’utilisateurs quotidiens en Al-
le Dr Lenz, chef du service de pédiatrie à l’hôpital
lemagne, la firme écoule une tonne de thalidomide
universitaire d’Hambourg interrogera les mères
par mois, et le produit est le troisième médicament
des enfants mal formés et collectera, notamment
le plus vendu en Europe. Une compagnie anglaise,
par voie de petites annonces dans la presse, qua-
la Distillers Company, acquerra la licence et com-
torze cas supplémentaires ayant pour dénomina-
mercialisera la thalidomide sous le nom de
teur commun la prise de thalidomide. Au moment
même, à l’autre bout de la terre, un obstétricien
LA CLAIRVOYANCE DE LA FDA
australien qui avait prescrit la thalidomide à ses
patientes, le Dr Mc Bride arrive aux mêmes con-
clusions. Grâce à leurs publications dans le Lancet
aujourd’hui plus de 200 postes médicaux, elle
(4, 5) et à la divulgation dans le grand public des
n’employait à l’époque que sept temps-pleins.
Frances Kelsey, médecin ne travaillant que depuis
newspaper, Chemie Grunenthal et Distillers Co
quelques mois à la FDA mais pourvue d’un sé-
accepteront finalement, fin 1961, après des semai-
rieux curriculum vitae (ancien éditeur associé du
nes de dénis obstinés, de retirer la thalidomide des
JAMA) reçut comme premier dossier celui de la
marchés allemand et anglais. En raison de la pas-
thalidomide introduit en vue d’autorisation de
sivité des pouvoirs publics, la thalidomide conti-
commercialisation sur le territoire américain en
nuera cependant à être vendue durant plusieurs
septembre 1960 par la compagnie Richardson-
mois encore en Belgique, au Brésil, au Canada, en
Merrell qui en avait acheté la licence (3). Ce de-
Italie, sans compter les boîtes encore en posses-
vait être un dossier facile, une simple formalité,
sion des particuliers. Au Japon, elle ne sera retirée
les règles en vigueur depuis 1938 ne concernant
que la sûreté des médicaments, pas leur efficacité.
On considère que 24 000 embryons pourraient
Surprise par l’absence totale d’effets secondaires
avoir été endommagés, une partie de ceux-ci étant
rapportés dans le dossier, et estimant en accord
morts avant la naissance. Parmi les survivants,
avec sa petite équipe (1 pharmacien, 1 chimiste)
40 % décédèrent avant leur premier anniversaire.
que les données concernant l’absorption, le méta-
On estime donc que plus de 5 000 enfants atteints,
bolisme et l’excrétion du médicament étaient in-
devenus adultes maintenant, sont en vie. Rien
suffisantes, elle tint tête à la société pharmaceuti-
qu’en Allemagne, 2 866 victimes furent reconnues ;
que qui réintroduisit le dossier en janvier 1961; elle
300 au Japon, 450 en Angleterre, 100 en Suède, …
le repoussa encore durant une année pendant la-quelle les effets secondaires tels que la névrite de-
Quatre mois après le retrait de la thalidomide,
vinrent publics. Grâce à son jugement, les USA
la Distillers Company rapportait que le médica-
furent épargnés, le produit n’y étant jamais com-
ment, à dose ad hoc et à une période clé de la ges-
mercialisé. Elle reçut du Président J.F. Kennedy la
tation entraînait chez le lapin des effets tératogè-
plus prestigieuse décoration civile en août 1962.
nes. D’autres études montrèrent ensuite que cela
Fin 1961, l’Allemagne se dota à son tour d’un équi-
se vérifiait chez le singe entre le 23e et le 31e jour
valent de FDA, comme de nombreux autres pays.
de la gestation, mais il était trop tard. L’expérimen-tation animale effectuée avant commercialisation
On recense néanmoins une dizaine de cas d’en-
de la thalidomide se révélait donc inappropriée,
fants mal formés suite à la thalidomide aux USA,
utilisant soit des espèces relativement peu sensi-
des échantillons (2,5 millions de comprimés !) ayant
bles, comme le rat, soit des dosages excessifs qui
été envoyés à plus d’un millier de praticiens par
provoquaient la mort des fœtus ne permettant
Richardson-Merrell qui anticipait un accord rapide
donc pas d’observer les séquelles, soit l’adminis-
de la FDA. La firme, soucieuse de savoir si les mé-
tration à un moment inadéquat de la gestation. Cet
decins américains désiraient utiliser sa molécule,
échec de l’expérimentation animale sert toujours
leur proposait de la tester sur leurs patients; il s’agis-
aujourd’hui de cheval de bataille, à notre avis de
sait cependant plus d’une promotion déguisée en
façon inappropriée, aux associations de protection
étude que d’une étude expérimentale à proprement
des animaux ; il n’en reste pas moins vrai qu’il est
parler puisque aucun « case report form » ne de-
toujours actuellement très difficile de prévoir quel
vait être renvoyé à la firme. L’absence même de
modèle expérimental permettra de prédire avec
prescriptions et de registres nominatifs de patients
le plus d’efficacité la réponse d’un organisme hu-
rendra d’ailleurs complexe le travail ultérieur des
enquêteurs à la recherche d’éventuelles victimes.
Chez l’Homme, la drogue est tératogène du 35e
Bien qu’il n’y eût pas comme en Europe de vé-
au 50e jour après les dernières menstruations, une
ritable scandale aux USA, vu le petit nombre de
période précoce où la femme peut encore aisément
victimes, le pays prit lentement conscience du pé-
ignorer qu’elle est enceinte. Un seul et unique com-
ril auquel il avait échappé grâce aux campagnes
d’avertissement données par le Dr Helen Taussig,
LA THALIDOMIDE LORSQUE L’HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L’AVENIR
célèbre cardiologue du John Hopkins Hospital, et
indépendant de solidarité. Guinness, actuel proprié-
surtout grâce à un article de presse paru dans le
taire de la compagnie, continue d’alimenter ce fond.
Washington Post en juillet 1962, ce qui propulsa
Les victimes des autres pays furent dédommagées
le projet de loi Kefauver, du nom d’un sénateur
de la même façon, à l’exception de l’Italie, sans
du Tennessee qui travaillait sans relâche mais sans
qu’aucune condamnation soit jamais prononcée.
succès depuis des années à améliorer l’accès auxmédicaments. Entérinée en octobre 1962, la loi
Cependant, malgré l’interdiction internationale
imposait dorénavant pour qu’un médicament soit
de vente, l’histoire de la thalidomide ne s’arrête
approuvé, non seulement qu’il fasse preuve de sa
sûreté mais aussi de son efficacité, et que les pa-tients participant à des études cliniques donnentleur consentement. Les autres pays emboîtèrent
LA POURSUITE DES RECHERCHES
le pas, durcissant les investigations nécessaires à
En 1964, un patient grabataire, atteint d’une
l’enregistrement des médicaments.
forme de lèpre particulièrement douloureuse,l’érythème nodulaire, est référé au Dr Jacob
LE PROCES ET LE BAN
Sheskin du Jerusalem Hospital for Hansen’s
INTERNATIONAL
Disease (3). Ses souffrances sont telles qu’il n’a plusdormi depuis des semaines! A tout hasard, Sheskin
Le plus grand procès de l’histoire du médicament
lui administre deux comprimés de thalidomide et
s’éternisa en Allemagne de mai 1968 à janvier 1970,
constate que le patient s’endort pendant vingt heu-
après sept années d’instruction préalables. Il fut sus-
res et qu’il est capable ensuite de sortir du lit. Six
pendu sans condamnation, les avocats de Chemie
autres patients similaires expérimentèrent des ré-
Grunenthal réfutant toutes les accusations et évin-
sultats identiques; une étude en double aveugle
çant les témoins principaux, comme le Dr Lenz taxé
au Vénézuela, suivie d’une étude à grande échelle
de sympathie pour les victimes (6). Un des argu-
par le WHO (organisation mondiale de la santé)
ments de la défense était que grâce à la thalidomide,
confirmèrent un taux élevé de succès. Le WHO
des fœtus atteints de malformations spontanées nor-
stipula que seules les femmes ménopausées pou-
malement fatales avaient pu survivre. En marge du
vaient être exposées à la thalidomide (7).
tribunal, ils finirent par convaincre les plaignants quesi le procès perdurait plus longtemps et débouchait
En 1991, le Dr Kaplan de la Rockfeller Univer-
sur des condamnations, Chemie Grunenthal ne se-
sity démontre le mécanisme responsable de cette
rait financièrement plus en mesure de dédommager
action bénéfique : la thalidomide diminue la TNF-α
les plaignants. La firme évita donc le jugement en
(tumor necrosis factor), une protéine responsable
contrepartie d’une forte somme (100 millions de
de l’inflammation tissulaire dont les taux sont éle-
marks) versée à une fondation en faveur des victi-
vés chez certains lépreux. Elle suggéra aussi d’uti-
mes, qui continuent d’ailleurs à percevoir des indem-
liser la thalidomide pour combattre la cachexie des
nités. En Angleterre, une véritable conspiration du
patients tuberculeux, une autre mycobactérie.
silence entre les instances juridiques, le gouverne-
De son côté, la jeune firme pharmaceutique
ment et la très puissante Distillers Company empê-
américaine Celgene tente dès 1987 de développer
cha les familles des victimes d’obtenir toute com-
une drogue qui puisse combattre le problème crois-
pensation sérieuse jusqu’au 24 septembre 1972, date
sant de la tuberculose chez les patients atteints du
à laquelle le Sunday Times rompit l’interdit fait à la
SIDA. Après contact avec le Dr Kaplan, Celgene
presse de publier tout article sur la thalidomide sous
décide d’étudier la thalidomide et démontre qu’elle
peine d’emprisonnement. Suite à cette publication «
stimule la réponse des lymphocytes T; certains ana-
Our Thalidomide Children : a National Shame »,
logues, appelés drogues immunomodulatrices sont
quelques actionnaires de la firme, outrés par l’aban-
encore bien plus puissants et peuvent agir directe-
don dans lequel se trouvaient les victimes se coalisè-
ment sur les tumeurs en induisant la mort cellu-
rent pour faire pression sur Distillers; il fallut cepen-
laire ou en stoppant la croissance cellulaire.
dant attendre une véritable campagne d’affichettesplacardées de nuit dans Londres et incitant la popu-
Parallèlement, les chercheurs de Harvard Univer-
lation à boycotter les alcools vendus par Distillers,
sity démontrent que la thalidomide inhibe le déve-
pour que celle-ci, affolée par la chute de son chiffre
loppement des nouveaux vaisseaux sanguins, con-
d’affaires, contribue finalement à un important fonds
firmant par la même son action tératogène sur la
croissance des membres. Or, l’idée germe que cette
auprès de deux tiers des personnes interrogées de
action anti-angiogénésique pourrait freiner le déve-
moins de 45 ans. Dès lors, à la demande des agen-
loppement des cancers. En 1999, le Dr Barlogie (Uni-
ces gouvernementales et d’associations, comme
versité d’Arkansas) publie des résultats encoura-
l’association des victimes canadiennes de la thali-
geants dans le traitement du myélome, une tumeur
domide, la firme s’est donc engagée dans un vaste
caractérisée entre autres par une angiogenèse accrue.
programme éducationnel appelé STEPS (Systemfor thalidomide Education and Prescribing Safety)
Actuellement, Celgene sponsorise environ 125
incluant les patients, les médecins et les pharma-
protocoles d’étude concernant la thalidomide
ciens (8). Pour les patients, le programme com-
auprès d’un grand nombre de centres indépen-
prend test de grossesse, double contraception, con-
dants situés sur tous les continents (8). Les mala-
sentement éclairé, et participation obligatoire et
dies ainsi traitées concernent l’hémato-oncologie
confidentielle dans un registre géré par un groupe
(surtout le myélome), les tumeurs solides (tumeurs
cérébrales, tumeurs du sein, du colon, du foie, du
épidémiologique. Les médecins doivent être affi-
rein, du poumon, mélanomes, …), la cachexie liée
liés au STEPS, obtenir un consentement éclairé et
aux cancers, certaines formes de SIDA, les mala-
recourir aux tests de grossesse avant prescription.
dies entérologiques inflammatoires (Crohn, colite
Les pharmaciens également affiliés, doivent véri-
ulcérative), certaines maladies dermatologiques
fier le consentement écrit du patient, les coordon-
(sclérodermie, vasculite, lupus érythémateux), des
nées du prescripteur qui doit être membre du
maladies auto-immunes (arthrites rhumatoïdes,
STEPS, ne peuvent fournir plus de quatre semai-
sarcoïdose), et bien d’autres, de la maladie
nes de traitement à la fois et ne peuvent renouve-
d’Alzheimer à la décompensation cardiaque avan-
ler automatiquement l’approvisionnement des
cée en passant par l’histiocytose et la malaria cé-
patients. Les ordonnances ne sont valides que
rébrale … Il convient d’insister sur le fait que dans
durant quinze jours. Les craintes de la FDA sont
bon nombre de ces indications, il n’existe actuel-
telles et la molécule reste si mystérieuse que les
lement que des postulats théoriques sur l’effica-
recommandations officielles vont jusqu’à imposer
cité éventuelle de la thalidomide, relayés par quel-
le préservatif aux patients masculins sexuellement
ques publications de cas cliniques anecdotiques;
actifs même s’ils sont … vasectomisés ! Des pré-
les patients inclus dans ces nombreuses études
cautions compréhensibles seulement par des in-
peuvent très bien n’en tirer aucun bénéfice théra-
tellectuels. Elle recommande également un test de
peutique ! Il va sans dire que tous ces patients sont
grossesse supplémentaire par semaine durant le
avertis par écrit et oralement des effets secondai-
premier mois de traitement, puis un test tous les
quinze jours ou tous les mois selon la régularité
tératogénicité. Selon les investigateurs, toutes les
des cycles. Il est encore stipulé que les patients trai-
mesures de précaution ont été réunies.
tés ne peuvent être donneur de sang ou de sperme. Á NOUVEAU SUR LE MARCHÉ
Ce programme ambitieux, s’il fonctionne cor-
rectement aux USA (aucun cas de malformation
Le 16 juillet 1998, la très pointilleuse FDA amé-
enregistré par Celgene en date de janvier 2003 se-
ricaine approuvait la commercialisation de la tha-
lon une communication personnelle), risque d’être
lidomide par la firme Celgene, exclusivement dans
mal aisé à appliquer dans les pays moins favori-
l’indication de la lèpre érythémateuse nodulaire,
sés. Pour exemple, la Chine est au nombre des six
une maladie rare aux USA, tout en sachant parfai-
ou sept pays producteurs actuels de thalidomide.
tement qu’elle ouvrait ainsi la porte aux prescrip-tions "off label", à savoir pour des indications
Durant les dix-huit premiers mois de commer-
autres que la lèpre. Incapable en effet d’endiguer
cialisation aux USA, 10 456 patients furent enre-
la vente croissante au marché noir, notamment
gistrés dans le STEPS programme, dont 16 % de
auprès de ceux touchés par le SIDA, de cette mo-
femmes en âge de procréation; 11,6 % d’effets se-
lécule produite au Brésil et en Argentine dont elle
condaires furent spontanément rapportés dont
ne pouvait contrôler la pureté, elle préférait en lé-
40,7 % considérés comme sérieux. Selon Celgene,
galiser l’usage (9). Une petite enquête préliminaire
l’incidence réelle des effets secondaires pourrait
de la FDA portant sur 130 personnes avait démon-
cependant être jusqu’à cent fois supérieure au taux
tré que le mot "thalidomide" n’évoquait rien
spontanément rapporté par les utilisateurs (10).
LA THALIDOMIDE LORSQUE L’HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L’AVENIR
SITUATION ACTUELLE
cription obligatoire depuis la réintroduction offi-
EN BELGIQUE ET EN FRANCE
cielle du médicament dans certaines maladies or-phelines en 1997.
En France, ce sont les laboratoires Laphal qui
produisent et commercialisent la thalidomide. Se-
En Belgique, la situation actuelle est résumée dans
lon une communication personnelle, plus de 4500
les tableaux I à IV que la direction générale de la
patients ont été identifiés dans le registre de pres-
protection de la santé publique a eu la gentillesse de
A.R. 05/03/1990 A.M. 10/01/2001
- Weber Christian's syndrome - Behcet's syndrome - Recurrent aphtous stomatitis - Polymorphous light erythema - Hydroa vacciniformis A.R. 05/03/1990 - Maladie de Jessner –Kanof A.R. 14/03/2000 A.R. 05/03/1990 A.M. 10/01/2001 A.R.Q 18/06/1999 A.R. 18/06/1999 A.R. 18/06/1999 A.M. 10/01/2001
clinique A.R. 18/06/1999 A.R. 07/01/2001 A.M. 10/01/2001 A.R. 07/01/2001 A.R. 07/01/2001 A.R. 07/01/2001 A.R. 07/01/2001
me fournir. Le tableau I résume les affections repri-
partition des sexes. Le tableau IV détaille par ordre
ses dans les différents arrêtés royaux, la date de ceux-
décroissant la répartition des patients par affection
ci, et les conditions de délivrance. Le tableau II mon-
ayant fait l’objet d’une demande en 2002.
tre l’évolution du nombre de patients traités en Bel-gique de 1990 à 2002. Le tableau III résume le nom-
Le lecteur intéressé pourra trouver une descrip-
bre de demandes accordées en 2002, ainsi que la ré-
tion soignée des affections dermatologiques auto-
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE NOUVEAUX PATIENTS AUTORISÉS À SUIVRE UN TRAITEMENT
Évolution du nombre de nouveaux patients par annéepatients
LA THALIDOMIDE LORSQUE L’HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L’AVENIR
risant éventuellement le recours à la thalidomide
FDA signale que la firme pharmaceutique impli-
dans un article publié dans cette revue en 2000 par
quée a répertorié 2181 cas de grossesse chez des
patientes sous Roaccutane® malgré son systèmede prévention, se soldant par 166 cas de bébésmalformés (12). Cela peut s’expliquer par le très
LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS
grand nombre de prescriptions, le non respect desconsignes contraceptives, un manque de fiabilité
EN MÉDECINE
des tests de grossesse, une mauvaise utilisation desméthodes contraceptives ou leur manque de fia-
La réintroduction officielle de la thalidomide
bilité. Dans sa réponse (13), la firme mentionne
aux USA, et le grand nombre d’études cliniques
qu’il est connu que 5 % des femmes utilisant une
en cours n’ont laissé personne indifférent. On peut
contraception hormonale vont néanmoins se ré-
très schématiquement regrouper en deux catégo-
véler enceintes au cours de la première année d’uti-
ries les réactions parfois extrêmes qui se sont af-
lisation ! Elle mentionne que grâce à son pro-
gramme de prévention, elle a finalement fait chu-
D’un côté, les opposants, représentés par les
ter ce taux à 0,021 % en 1999. Cela ne fait pas 0 %
associations de victimes et un certain nombre de
… Par ailleurs, selon un article paru dans la revue
praticiens, ont exprimé leur refus d’un monde où
Teratology, certaines femmes enceintes sous
la thalidomide puisse encore être manufacturée et
Roaccutane affirment ne pas avoir eu de tests de
distribuée. Incapables en pratique d’entraver la
grossesse ou d’information spécifique (14).
décision de la FDA vu la puissance des enjeux éco-nomiques et médicaux en cours, ils ont prôné des
LE BRÉSIL
mesures draconiennes de précaution : stérilisationdes femmes non ménopausées, cassettes vidéo
En juin 1993, un reportage de la télévision an-
explicites, photographies sur l’emballage des boî-
glaise tourné au Brésil révélait la naissance de 21
enfants mal formés issus de mères ayant pris de lathalidomide. Dans un article publié en mars 1994
De l’autre côté, les médecins impliqués dans
par le Lancet, le journaliste annonçait 26 cas sup-
les protocoles d’étude estiment qu’il en va de la
plémentaires, toujours dans le même pays (15). Le
thalidomide comme de tout autre médicament :
reportage montrait une jeune femme s’approvi-
pour peu que les bénéfices sanitaires dépassent les
sionnant auprès d’une pharmacie non autorisée
risques encourus, que le patient donne un consen-
qui ne fournissait pas de mise en garde particu-
tement éclairé, et que les mesures de précaution
lière. Bien que la plupart des mères dans ce repor-
soient prises, la prescription est légitime. Après
tage aient utilisé la thalidomide pour soigner leur
tout, bien d’autres médicaments tératogènes sont
propre lèpre, certaines l’avaient obtenue de leur
sur le marché, comme ceux utilisés quotidienne-
ment en chimio-oncologie, le Roaccutane® en der-
l’avaient même prise comme abortif, peut-être sur
matologie, ou le Clozaril® en psychiatrie.
base des avertissements de la notice qui préconised’éviter son usage en cas de grossesse … L’effet
Afin d’étayer l’argumentation dans ce débat
secondaire hypnotique qui, faut-il le rappeler, était
souvent passionnel, il nous semble utile de com-
l’indication même de sa commercialisation en
muniquer quatre pistes de réflexion qui concer-
1957, pourrait également inciter à sa consomma-
nent le Roaccutane®, la situation au Brésil, la firme
tion par le patient ou son entourage, d’autant plus
que l’absence d’accoutumance à cet effet tranquil-lisant ainsi que l’avait clamé en son temps Chemie
LE ROACCUTANE®
Grunenthal, est controversé. Il est opportun dementionner ici les résultats d’une enquête réali-
Il s’agit d’un médicament hautement térato-
sée auprés d’une centaine de jeunes femmes amé-
gène, utilisé dans certaines formes d’acné et dont
ricaines concernant leur interprétation d’un sym-
la prescription est régie depuis 1988 par un sys-
bole figurant couramment sur les boîtes de médi-
tème de contrôle proche du STEPS, à savoir con-
caments tératogènes, à savoir un profil de femme
sentement éclairé, contraception obligatoire, test
enceinte avec une croix sur le ventre; seules 21 %
de grossesse et registre. Un rapport récent de la
des femmes interrogées identifient correctement
le danger ! (16). L’association brésilienne des vic-
tion extensive au patient lui permettant de peser
times de la thalidomide reconnaît officiellement
les avantages et les inconvénients inhérents à leur
122 cas d’enfants dits « de la deuxième généra-
Les effets secondaires classiques d’un médica-
ment quelconque affectent la personne qui l’ab-
LA FIRME CELGENE
sorbe. Il en va tout autrement en matière de
L’industrie pharmaceutique est bien entendu
tératogénicité ! Dans ce cas précis, la personne qui
régie par les mêmes lois économiques que n’im-
absorbe la substance en vue d’un avantage (en
porte quelle autre entreprise : les profits doivent
terme de santé) n’est pas celle qui en subira toute
être supérieurs aux pertes. Le but premier n’est
sa vie les inconvénients. Aucune mère bien portante
pas philanthropique, ce qui n’enlève rien aux im-
ne ferait courir de risques à son nouveau-né; ce
menses services rendus par cette industrie.
dogme universel inébranlable est cependant caduclorsque la mère est atteinte d’une maladie chroni-
Celgene est cotée en bourse (NASDAQ), et
que invalidante, voire potentiellement fatale. Sans
publie régulièrement son bilan financier pour ses
sombrer dans les poncifs, la maladie place l’indi-
actionnaires. En 1998, les revenus liés à la vente
vidu dans un état de dépendance, et l’espoir d’un
de la thalidomide s’élevaient à 3,3 millions de $ ;
soulagement occulte bien des raisonnements.
ils sont passés à 82 millions de $ en 2001, sommevertigineuse qui représente 93 % des revenus de
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici le
contenu du très contestable « arrêt Perruche »rendu en France le 17 novembre 2000 et confirmé,
Le programme STEPS correspond à une exi-
à l’encontre de l’avis du comité français national
gence sine qua non de la FDA, pas à une initiative
d’éthique, en juillet 2001 par la cour de cassation :
de la firme. La lettre d’approbation de la FDA du
en substance, un enfant handicapé aurait le droit
16 juillet 1998 spécifiait que la thalidomide ne pou-
d’obtenir réparation pour le préjudice que lui
vait être commercialisée que pour la lèpre
érythémateuse nodulaire; toute autre publicitédevait être fournie à la FDA au moins trente joursavant sa distribution. Il n’en fut rien. Aussi, dans
CONCLUSIONS
une lettre de mise à demeure adressée au direc-teur de la firme le 21 août 2000, la FDA, après plu-
La solution idéale serait bien évidemment la
sieurs avertissements infructueux, conclut :
synthèse d’un analogue de la thalidomide qui soit
« Celgene has promoted thalidomide capsules for
unapproved uses in violation of the Federal Food,Drug, and Cosmetic Act and applicable
En attendant, et si les études en cours démon-
regulations … Celgene is demonstrating a
trent une supériorité significative de la thalido-
continuing pattern and practice of violative
mide sur le meilleur traitement alternatif possible
behavior that evince its failure to comply with the
dans des affections graves, il est légitime de ne
pas priver ces patients d’un traitement vital. Aussi,
à défaut d’un monde sans thalidomide, convient-il à tout le moins d’éviter une prescription incon-
Nous n’avons pas pu trouver la réponse de la
trôlée et donc de renforcer les précautions prises,
que le temps et l’habitude risquent fort d’éroder.
L’incontournable vérité demeure que le méde-
LA JUSRISPRUDENCE
cin reste le seul responsable de ses prescriptions,
Toute personne majeure a le droit en Belgique
le malade n’étant par essence plus dans un état
de consommer n’importe quelle substance licite,
neutre qui le désignerait comme étant le respon-
qu’il existe ou non des évidences quant à son effi-
sable légal des conséquences fâcheuses qui décou-
cacité ou sa toxicité. Concernant les médicaments,
leraient de la prise du médicament.
c’est au médecin prescripteur en l’occurrence
« One wonders how much longer innocent lives
qu’incombe l’obligation de fournir une informa-
must remain hostage to the myth that from under all
LA THALIDOMIDE LORSQUE L’HISTOIRE DOIT ÉCLAIRER L’AVENIR
the horrors and nightmares of the past there lies awonder drug with a golden future bursting to get out »
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L’auteur tient à remercier maître Suzanne
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Boonen-Moreau pour la relecture avisée du ma-
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BPZ-Rheuma-Hek 148x280 17.03.2010 15:29 Uhr Seite 1 Gebrauchsinformation: Information für den Anwender Rheuma-Hek ® 268 mg Hartkapseln Wirkstoff: Brennnesselblätter-Trockenextrakt Lesen Sie die gesamte Packungsbeilage sorgfältig durch, denn sie enthält wichtige Informationen für Sie. Dieses Arzneimittel ist ohne Verschreibung erhältlich. Um einen bestmöglichen Behandlungs-
FACHBEREICH KUNST-, ORIENT- UND ALTERTUMSWISSENSCHAFTENINSTITUT FÜR KLASSISCHE ALTERTUMSWISSENSCHAFTEN Kommentiertes Vorlesungsverzeichnis Griechische Lyrik PROF. DR. M. HILLGRUBER Mit dem Wort "Lyrik" bezeichnen wir im weiteren Sinne alle Formen der Dichtung jenseits von Epos und Drama. Als der Begriff in hellenistischer Zeit aufkam, war er jedoch zunächst auf die zur Lyra gesun